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“Kliniken” à l’Odéon fait parler en beauté nos blessures

Hélène Kuttner 19 mai 2022
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© Simon Gosselin

Dans une éblouissante scénographie, Julie Duclos met en scène la pièce du Suédois Lars Norén avec treize comédiens formidables de vérité. Une plongée dans la folie d’une unité psychiatrique en miroir de nos vies citadines.

Parler pour survivre

Ils sont comme vous et moi, ou presque, ces treize patients de l’unité psychiatrique qui vont traverser l’immense pièce à vivre reconstituée sur le plateau de l’Odéon. Julie Duclos et son scénographe Mathieu Sampeur, avec la fée des lumières Dominique Bruguière, ont conçu un espace superbe, ouvert sur le public, et dont les murs s’ouvrent avec des portes battantes ou une baie vitrée, au fond du plateau, envahie par des arbres fournis. Belle idée que de rompre avec l’esthétique hyper réaliste d’un hôpital de jour avec ses murs blanc clinique et ses éclairages ordinaires. Les spectateurs peuvent ainsi observer les acteurs dans leur partition et musarder en imaginant ce que peuvent révéler les plans fugaces qui sont projetées par une vidéo sur l’un des murs, comme un hors-champ des acteurs ou un refuge des patients pour s’isoler, respirer ou décider d’en finir. C’est justement cette complexité, ce va-et-vient entre la parole et le silence, le dialogue et le monologue entêtant, la normalité et la folie, qui se raconte dans ce spectacle avec une très grande finesse et des acteurs étonnants.

« Schizopoèsie »

© Simon Gosselin

C’est le titre de premier recueil de poèmes de Lars Noren, qui a été interné à l’âge de vingt ans pour schizophrénie et qui n’a cessé d’écrire et de mettre en scène les exclus, les personnes âgées et les plus démunis de la société. Avant de disparaître en 2021, il a pu voir l’une de ses pièces, « Poussière » entrer au répertoire de la Comédie Française en 2018. Les personnages qui apparaissent devant nous se tiennent justement à la frontière de la raison et bien malin celui qui pourrait affirmer,  au débotté, sauf à être psychiatre, le nom de sa maladie. Voici Markus/Maxime Thébault, le corps tendu comme un arc, le visage hagard, qui peine à prononcer des mots. Mais il regarde, observe, semble analyser chacun de ses voisins dont Maud/Mathilde Incerti Formentini, assise sur une chaise face public dans un survêtement aux couleurs criardes, les jambes écartées. Sans bouger, mais en grillant quelques cigarettes, elle commente, parle d’elle et des autres, bougonne, éclate de rire, comme si elle était à une terrasse de café. La voila qui prend sous son aile la fragile Sofia/Alexandra Gentil, une jeune patiente qui semble à bout de nerf et que Thomas l’infirmier/Cyril Metzger  soigne de manière plus ou moins autoritaire en lui faisant avaler des cachets.

Une comédie

© Simon Gosselin

Pour avoir longuement travaillé sur cette pièce, avec des séjours au sein d’ un service de psychiatrie, la metteure a su faire jaillir la créativité de chaque comédien, et sa drôlerie dans ce qui constitue la comédie de la vie, enfer ou illusion. Comment co-exister quand on a des parcours et des âges, des névroses si diverses ? Etienne Toqué campe un Roger tout en nervosité et en ressentiment, qui éructe son désir pornographique et ses insultes au racisme fanatique, quand Erika/Manon Kneutzé passe son temps à défiler dans des tenues affriolantes avec ses jambes interminables et son sourire carnassier. Ils susurrent ou gueulent comme des animaux pour se faire aimer et entendre. Certains parlent plus que d’autres, mais les comédiens et leurs personnages sont une histoire à part entière que l’on aime à découvrir, à percer. Qu’est ce qui un jour peut nous faire basculer dans cette marge où on prétend calmer les frayeurs ? Le théâtre ici, agit comme un véritable miroir de nos vies, avec une bienveillante simplicité. Et c’est très beau.

Hélène Kuttner 

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